Chronique d’une défaite militaire annoncée
- Renouvo Demokratik
- 27 mars
- 3 min de lecture
PAR: Michel Legros,
Sitwayen pou Respè Konstitisyon.

Ils mettent le feu, je m’en vais », lâche un policier à Delmas 19, censé assurer la sécurité. Un autre renchérit : « Commandant, ce n’est pas mon combat. » Ces paroles, loin d’être des cas isolés, révèlent un profond malais : la troupe commence à ne plus vouloir se battre. Elle refuse de continuer à obéir à des chefs qu’elle sait incompétents.
Rien n’est plus dangereux que la démoralisation dans les rangs. Car quand l'abandon ne vient plus de la peur de l’ennemi, mais de l’incompétence du commandement, c’est l’implosion assurée.
Depuis novembre, les chiffres parlent d’eux-mêmes : au moins 102 institutions publiques abandonnées pour cause d’insécurité. Des quartiers entiers réduits en cendres ou vidés par la terreur : Pont Sondé, Petite-Rivière de l’Artibonite, Solino, Nazon, Delmas 30, Pouplard, Nord Alexis, Ravine Pintade, Carrefour-Feuilles, Bas Peu de Chose, Pacot, Morne à Tuf et le Champ de Mars. Sans oublier le massacre du Warf Jérémie ni le harcèlement permanent à Delmas 32, Delmas 19 et Christ Roi. On parle d'un million de déplacés.
On a vu l’Hôpital Bernard Mevs, l’Hôpital Général, Radio Caraïbe incendiés, des entreprises commerciales pillées. L’école, rempart et futur de la République, s’éteint, ses établissements tombant un à un : les lycées Pétion, Toussaint, Firmin, Marie-Jeanne, le Collège Saint-Pierre, Sainte-Rose de Lima, Sacré-Cœur, ainsi qu’un nombre croissant d’écoles privées. Toutes contraintes à la fermeture. L’effondrement est total.
Mais l’état-major reste en poste, inébranlable dans l’échec. Haïti est sans doute le seul pays au monde à s’accrocher à des chefs de guerre qui n’ont accumulé que défaites, sans jamais reprendre ne serait-ce qu’un pouce de territoire. On serait tenté, dans un accès de générosité littéraire, de les comparer à Koutouzov, le général russe de Guerre et Paix qui perdit toutes ses batailles mais gagna la guerre contre Napoléon. On ne peut le faire. Koutouzov avait un plan, une vision, une lecture profonde des forces en jeu et une stratégie. Tolstoï en fit un héros.
Notre commandant en chef n’est pas Koutouzov. Qu’on se le dise. Et il n’y aura pas de Tolstoï haïtien pour lui rendre hommage. Il devra attendre un Alfred Jarry – pour l’absurde grotesque – ou un Justin Lhérisson – pour la satire truculente.
À nos présidents qui tiennent à la médiocrité et à leur état-major de pacotille, un conseil: lisez Guerre et Paix. C’est long mais profond. Ça demande un peu plus de patience qu’un TikTok. Mais cela pourrait vous apprendre deux ou trois choses sur le commandement en temps de crise, la stratégie, le rapport au peuple. Sauf que vous ne le ferez pas. Trop paresseux pour apprendre. Trop nombreux aussi pour être efficace, car vous êtes sept — ou neuf — à prétendre gouverner ce pays. Et c’est bien là le problème.
Car comment prétendre gérer un conflit avec une direction nonuple? Qui décide et comment ? Rien ne peut émerger d’une hydre boiteuse, si ce n’est des lenteurs, des blocages et de la confusion.
On perd cette bataille non pas faute d’équipement, mais faute de stratégie. Les drones ? La dernière trouvaille magique, devant laquelle Premier ministre et directeur général de la PNH campent comme des enfants ébahis devant un jouet volant – et pour lequel ils se disputent et se battent – allait renverser la donne. Si la technologie suffisait à gagner une guerre, les États-Unis n’auraient pas abandonné le Vietnam ou l’Afghanistan, ni la France perdu l’Algérie, ni l’URSS quitté Kaboul.
Messieurs, ces engins auraient pu – et peuvent encore – faire mouche sur une cible. Rien de plus. Cessez de vous illusionner et de mentir au peuple. Ces appareils n'ont pas empêché la prise de Belot ni la catastrophe de Petite-Rivière de l'Artibonite, avec, pour le moins, la mort d’un soldat kenyan et la perte de plusieurs blindés (en attendant le bilan officiel) dans la seule journée du 25 mars.
Ah, Fritz Alphonse Jean, Didier Fils Aimé, qu’attendez-vous de plus pour prendre les nécessaires mesures de redressement ? Votre insouciance dans la débâcle devient irresponsabilité criminelle.
La technologie ne remplace pas la vision. Et surtout pas celle qui fait défaut à des dirigeants aveugles, obsédés par le pouvoir mais hostiles à toute forme d’apprentissage. Car lire, comprendre, penser, cela demande du temps. Et dans cette République de la fainéantise, réfléchir est déjà vu comme une extravagance.
Messieurs les archontes tragiques, vos mesquines stupidités exaspèrent ceux qui assistent, impuissants, à la destruction de leur pays par la bêtise.
La défaite est là. Militaire, politique, morale. Elle est quotidienne et visible. Le pays ne s’effondre plus : il est déjà à terre.
Compliments à ceux-là qui, par intérêts égoïstes, ont défendu bec et ongles cette absurde expérimentation politique en pleine conjoncture explosive. Errare humanum est, perseverare diabolicum.
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