La crise actuelle en Haïti : une résultante de la rançon imposée par la France
- Renouvo Demokratik
- 14 avr.
- 7 min de lecture
Position et recommandations du KAAD
Au Forum permanent des Nations Unies des personnes d’ascendance africaine
Quatrième Session | New York, 14 au 17 avril 2025.

Kolektif Ayisyen AfwoDesandan (KAAD) est un collectif de personnalités et d'organisations de la société civile haïtienne et de sa diaspora, qui répond à plusieurs objectifs majeurs. Le KAAD veut se faire l'écho de la voix de la société civile haïtienne, en rappelant les trois précédentes demandes de réparations formulées par le gouvernement de la République d'Haïti : la première en avril 2003 lors du bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture ; la deuxième en septembre 2024 à l'Assemblée générale des Nations Unies ; et la troisième, en janvier 2025, par le Conseil présidentiel de Transition.
Rappel historique
Le 17 avril 2025 marque le 200ème anniversaire de l'ordonnance imposée par la France sous le règne du roi de France Charles X, obligeant Haïti à payer une indemnité de 150 millions de francs (équivalent aujourd'hui à plus de 21 milliards de dollars américains soit environ 20,4 milliards d'euros). Cette somme qui représentait le prix à payer pour la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti par la France, le belligérant vaincu, équivalait (selon l’historienne Gusti Gaillard) à 10 ans de recettes fiscales annuelles d’Haïti mais à 15% environ du budget annuel de la France. Elle était destinée à indemniser les anciens colons et esclavagistes de Saint-Domingue, expulsés lors de la révolution haïtienne.
En juillet 1825, sous la menace d’une flotte de navires de guerre qui menaça de détruire le pays, le président Boyer et le Sénat Haïtien, ont signé à tour de rôle le 8 et le 11 juillet, l’ensemble des conditions contraignantes contenues dans l’ordonnance du 17 Avril. En conséquence, Haïti a été contraint de conclure un accord honteux avec ses anciens colons, en payant effectivement à ses esclavagistes pour avoir osé devenir la première nation noire libre du monde moderne et la première nation libre de l’hémisphère occidental.
Pendant plus de deux décennies après son indépendance, notre pays subira un ostracisme qui vise à l’isoler économiquement et à la mettre en quarantaine politique: les puissances européennes et américaines ont placé Haïti sous un blocus économique, politique et militaire, l'État haïtien n'était pas reconnu diplomatiquement et les marines européennes le menaçaient souvent d'invasion.
Exclu des marchés internationaux, isolé politiquement et incapable de payer cette indemnité exorbitante, Haïti a dû emprunter, à des taux d'intérêt exorbitants, auprès de banques françaises, américaines et allemandes. Cela est devenu connu sous le nom de « double dette », mais mieux décrit comme une « rançon ». Haïti n'a pas été en mesure de rembourser entièrement la dette et la rançon pendant plus de cent (100) ans.
Les demandes de réparation d'Haïti s'inscrivent alors dans le contexte de cette histoire brutale d'esclavage, d'extorsion postcoloniale, de subversion néocoloniale par d’anciens esclavagistes européens. L'histoire unique d'Haïti démontre la façon dont la France et les pays blancs d'Europe et des États-Unis ont coordonné pour faire souffrir Haïti indéfiniment pour avoir contesté la suprématie blanche. L'appel à des réparations, notre cri aujourd’hui, représente un aspect de la longue lutte d'Haïti pour la justice et l'autodétermination.
Une injustice historique lourde de conséquences
La rançon extorquée par la France a paralysé l'économie d'Haïti et a eu un impact sur tous les aspects de la société. Alors que d'autres pays ont investi dans les infrastructures et les services publics, Haïti a été contraint de concentrer toute son économie sur le remboursement de cette dette extorquée. La plupart des ressources du pays ont été utilisées pour couvrir la rançon. En fait, près de 85 % de la plus grande source de revenus d'Haïti – les exportations de café – avait été détournée vers le remboursement de la dette. La rançon a appauvri Haïti pour les deux cents années suivantes. Le pays ne pouvait pas se permettre d'investir dans l'éducation, les soins de santé, les infrastructures et le développement industriel. Pendant ce temps, la France a utilisé l'argent d'Haïti pour renforcer ses propres infrastructures, en construisant des hôpitaux, des écoles, la Tour Eiffel. Ce faisant, elle est devenue l'une des plus grandes économies du monde.

Cette rançon est une injustice historique. Elle a déclenché un cycle d'extraction, d'endettement et de dépendance à l'égard de l'aide extérieure, conduisant au sous-développement d'Haïti. Cela a également rendu le pays instable et vulnérable à la domination des élites et à l'ingérence étrangère.
La crise actuelle en Haïti, en 2025, où les gangs font la loi ; où le peuple dans sa totalité est aux abois ; où il nous est difficile de frayer un chemin qui donne sens à la vie, à certains égards, est en grande partie la résultante de cette rançon subie pendant près de cent ans. En effet, la source première de la gangstérisassion en Haïti c’est la misère chronique, les inégalités sociales accumulées et reproduites pendant deux siècles d’étouffement de notre économie par ce néo-colonialisme qui nous a toujours mis du mauvais côté. Ce choix délibéré de nous étouffer dans l’ordre mondial, est plus qu’une évidence si nous considérons, entre autres, la place qui nous est réservée sur l'île d’Haïti, et l’attitude passive de l’ensemble de la communauté internationale face à l’injustice que nos frères et sœurs subissent en République Dominicaine.
Le KAAD profite de cette tribune pour dire et redire au monde entier que les Haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine, en plus des mauvais traitements dont ils sont l’objet au quotidien, subissent une classification. Ce qui rend possible leur déportation sans aucun respect des normes juridiques ; ils ne bénéficient d’aucune protection qui tienne compte de leur dignité. Ils subissent un apartheid sans bornes qui n’est pas trop loin des sévices subis par nos ancêtres au temps de la colonisation.
L’on se demande dès lors qu’est-ce-qui rend tout cela possible. La réponse est pourtant évidente : la rançon imposée par la France ne nous a pas permis de bénéficier des moments forts de la modernité. Nous avons raté les bénéfices de la révolution industrielle ; on nous a mis totalement à côté, lors de la percée de la robotique ; et aujourd’hui à l’heure où l’on parle d’intelligence artificielle, nous, en Haïti, on nous maintient dans la gestion des gangs criminels qui détruisent tout en Haïti.
Dans cette traversée, nous ne pouvons pas ne pas rappeler que : l'ingérence étrangère et l'extraction économique comprenaient l'invasion et l'occupation d'Haïti par les États-Unis de 1915 à 1934, pour le compte des banques de la ville afin de s'assurer qu'Haïti payait ses dettes. Les États-Unis se sont emparés des réserves d'or d'Haïti, ont pris le contrôle de ses institutions financières et politiques et ont rétabli le travail forcé qui équivalait à celui de l'esclavage.
L'occupation a également consolidé le contrôle américain sur la région, renforçant la suprématie blanche des États-Unis tout en faisant dérailler les efforts d'Haïti vers l'autonomie et la libération économique. Mais il y avait aussi le racisme des États-Unis et de l'Occident contre le peuple haïtien. Les États-Unis ont affirmé que leur occupation d'Haïti était une « mission civilisatrice » contre « l'anarchie, la sauvagerie et l'oppression » supposées de la République noire. Ces opinions racistes sur le peuple haïtien continuent de façonner les politiques occidentales à l'égard du pays.
De ce combat, il est important de souligner ces points clés :
La dimension historique : il y a un besoin de dire la vérité sur les revendications historiques d'Haïti en matière de restitution et de réparations et un besoin de justice.
La raison de cette dette : Haïti, né d'une révolution réussie d'Africains réduits en esclavage, a défié l'ordre mondial de la suprématie blanche. L'existence même des Africains libres a remis en question la domination blanche occidentale à une époque où les Européens croyaient que les Africains étaient inférieurs et devaient être réduits en esclavage. Nous ne devons pas sous-estimer le rôle du racisme dans l'imposition de la rançon à Haïti et dans la minimisation du rôle de la rançon dans l'atteinte à la souveraineté haïtienne.
Le coût de la dette : les pays européens se sont enrichis grâce à l'asservissement des Africains. La rançon que les Africains de Saint-Domingue ont été forcés de payer après avoir vaincu les esclavagistes et revendiqué l'indépendance a eu un impact sur tous les aspects de la vie au cours des 200 dernières années.
Notre Combat
Nous, le Kolektif Aysyen Afwodesandan (KAAD), menons la lutte pour la restitution et les réparations en Haïti. Nous exigeons la restitution de la dette payée par Haïti par la France, injustement enrichie par l'indemnité illégale versée à Haïti sous la menace d'un retour à l'esclavage. Cet enrichissement français est directement lié à l'appauvrissement d'Haïti. Nous exigeons réparation pour l'acte préjudiciable et durable des gouvernements français et américain, qui ont imposé une « double dette» – ou rançon – à Haïti. Nous affirmons avec force et conviction que cette dette doit être remboursée et que cette injustice historique, qui a durablement marqué la société haïtienne, doit être réparée.

Le KAAD lance un cri de ralliement. Le KAAD appelle à la solidarité mondiale et à l'alignement stratégique avec la cause des réparations pour Haïti. Bien qu'Haïti fasse partie d'une lutte mondiale plus large pour des réparations pour les communautés d'ascendance africaine, elle a un ensemble unique de revendications en raison de l'indemnisation et de la rançon imposées, en particulier par la France et les États-Unis. La rançon a conduit à un long héritage de dettes forcées, d'extorsion par les blancs français et américains et de sous-développement chronique. La demande de restitution d'Haïti est claire ; le coupable de la terrible situation économique et politique d’Haïti est connu. Unissons nos efforts pour réparer cette infamie, Ainsi, cette tribune des Nations Unies s’inscrira dans la marche pour une autre Éthique. Aujourd’hui, le monde en a plus que besoin. Une autre Éthique!
Le cas d'Haïti n'est pas seulement une action en justice ; cette demande légale de restitution de la part d'Haïti a des liens inextricables avec le mouvement mondial plus large pour les réparations et la justice réparatrice. En 2025, l'Union africaine (UA)concentrera ses efforts sur la question des réparations dans le cadre de son thème annuel « Justice pour les Africains et les personnes d'ascendance africaine ». La CARICOM se concentrera également sur son Fonds mondial de réparations, créé en 2023, et poursuivra les consultations initiées par le Parlement panafricain, qui ont donné lieu à la Déclaration de Gorée, sur la base de la Déclaration et du Plan d'action de Durban. Ces efforts continueront de mettre en évidence la nécessité d'une justice réparatrice et d'une guérison pour bâtir un avenir plus juste et équitable.
Le KAAD appelle également à l'action d'un point de vue juridique, commercial, économique, diplomatique et de développement de la part de l'ensemble de la société civile, et en particulier des jeunes et des femmes : avocats, entreprises, en particulier les banques, les institutions financières internationales pour faire avancer la demande d'Haïti en matière de restitution, de réparations et de justice réparatrice.
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