Quand l'État déserte, le peuple doit se lever
- Renouvo Demokratik
- 13 avr.
- 8 min de lecture
Par : Hugue CÉLESTIN,
Membre de :Federasyon Mouvman Demokratik Katye Moren (FEMODEK),
Efò ak Solidarite pou Konstriksyon Altènativ Nasyonal Popilè (ESKANP).

Un lundi matin de janvier 2025, dans un petit village oublié du Nord d'Haïti ; comme d'habitude, les coqs chantaient, les houes saignaient la terre dans un fracas familier. Mais ce matin-là, quelque chose avait changé. Là où régnait depuis des mois le silence d'une école fermée, on entendait à nouveau des voix d'enfants.
Pas d'annonce officielle, pas de ruban à couper; ce sont les parents qui, fatigués d'attendre un Gouvernement absent, avaient décidé d'agir. Ils avaient fabriqué des bancs avec des troncs d'arbres, ) un tableau avec des planches sciées sur place. Et avaient aussi demandé à une jeune diplômée du village de venir faire classe, bénévolement. Elle écrivait à la craie, mais c'était bien plus que des mots qu'elle traçait; mais un avenir qu'elle esquissait.
Ce jour-là, sans tambour, sans caméra, ils ont compris que l'espoir ne viendrait pas d'en haut. Et que pour ne pas sombrer, il fallait se lever.
Enfin, il serait grand temps que nos scientifiques haïtiens se penchent sérieusement sur le mystère haïtien. Entre autres, comment se fait-il que le temps semble courir plus vite ici qu'ailleurs ? Peut-être une anomalie spatio-temporelle made in Port-au-Prince. Voilà déjà qu'approche en fanfare le premier anniversaire des protégés de la Communauté Internationale. Ce monstre tentaculaire aux neuf têtes, une queue bien dissimulée, et des bras partout, sauf là où il faut. Un an de gouvernance sous télécommande, et miracle. La misère s'aggrave, les écoles ferment, les hôpitaux s'éteignent, tandis que les gangs, eux, assurent la continuité territoriale à coups de fusils d'assaut. À ce rythme, ce n'est plus une gouvernance, c'est un naufrage sous supervision.
Le drame annoncé deux semaines avant le carnage, est désormais relégué au rang de faits divers. Les malfrats toujours fidèles à leur grande tradition de transparence participative avaient prévenu que la vengeance serait implacable contre les brigades de vigilance de Mirebalais. Ces derniers, coupables d'un crime abominable aux yeux de la pègre, ils ont osé intercepter des cargaisons d'armes et éliminé quelques soldats du chaos. Il ne manquait plus qu'un bulletin officiel pour tamponner la menace. Ce n'était pas une farce du 1er avril, mais bien une réalité apparue dans la nuit du 5 au 6 avril. Ils ont méthodiquement ravagé la ville de Benoît Batraville, ce héros qui s'était jadis levé contre l'occupation américaine en 1915. Un siècle plus tard, la République assiste, impassible, à l'humiliation de sa mémoire. Quelle ironie funèbre!
Pendant ce temps, notre téléphone, lui, semblait porter le deuil national; il pleurait, vibrait, sonnait en continu comme s'il tentait désespérément de réveiller une conscience collective en coma profond. Des appels pour alerter, d'autres pour confirmer, tous cherchant à donner un sens à l'insensé. Le tableau aurait pu prêter à rire, s'il ne s'agissait pas du cauchemar bien réel d'un peuple nu face à l'impensable. Oui, c'était confirmé ; Mirebalais, chef-lieu du Bas-Plateau Central, est tombée. La ville n'est pas conquise, mais, livrée, abandonnée sans combat, offerte sans scrupule, sous le contrôle total des gangs-milices, en toute exclusivité. La prison Centrale vidée comme on vide un sac d'oranges pourries, et depuis le chaos s'installe calmement, méthodiquement. Ainsi, la ville rejoint avec résignation la longue procession des territoires sacrifiés sur l'autel de la complicité, de l'impuissance et de la lâcheté.
Il serait presque naïf de ne pas s'indigner, de ne pas suffoquer, voire de ne pas hurler à la trahison. Car ce qui se joue aujourd'hui en Haïti dépasse largement la notion de crise. C'est une agonie nationale, méthodique, douloureuse, et surtout profondément cynique. Il suffit de regarder cette vidéo surréaliste où deux chefs de gangs paradant fièrement, en plein jour, sur le sol supplicié de Mirebalais. À leur suite, plus d'une dizaine de véhicules blindés, rutilants, tout droit sortis ; qui sait ? Issu du généreux programme international Armes contre Peuple, gracieusement financé par le Budget de Guerre déguisé. Le défilé permet aux criminels en uniforme officieux de s'exhiber dans un cortège triomphal. Et pendant ce temps, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), cette farce institutionnelle à mi-chemin entre la tragédie antique et le théâtre de boulevard, observe en silence. Voilà donc ce qu'est devenue la République : un terrain de jeu pour milices, sous les applaudissements muets d'un État-spectateur.
Et pendant qu'ils paradent comme des libérateurs sortis d'un mauvais film post-apocalyptique à petit budget, les deux héros autoproclamés du chaos livrent un message moqueur, dégoulinant d'ironie crasse, dans lequel ils célèbrent leurs propres forfaits comme s'il s'agissait de hauts faits d'armes. Ils se félicitent d'une prise éclair, sans résistance, presque trop facile et remercient, avec une politesse à faire rougir un diplomate, leurs précieux alliés du CPT et du gouvernement haïtien pour leur avoir livré la ville avec une telle délicatesse. Seul petit regret ; ne pas avoir pu leur offrir, en retour, un petit cocktail maison, version drone kamikaze aux portes de Saut-dEau et de Mirebalais. Le ton est joyeux, l'ambiance festive pour un véritable spectacle de propagande armée, en plein air, dans une mise en scène de théâtre macabre. Tous les regards sont tournés vers les caméras, fusils en bandoulière, et pas la moindre trace d'un policier sinon ceux régulièrement affectés aux gangs. Juste un silence lourd, total, complice celui des autorités, ou de ce qu'il en reste.
On en viendrait presque à croire qu'il s'agit d'une production officielle, validée avec enthousiasme par le très zélé Conseil de Protection des Truands (CPT), présidé par nul autre que l'illustre Fritz Alphonse Jean, et bénie moralement par le gouvernement d'Alix Didier Fils Aimé. Quant aux fameux drones kamikazes, ils sont retenus à la douane céleste. Et le fameux budget de guerre, toujours coincé dans les limbes poussiéreux d'un Parlement spectral, qui hante encore les couloirs d'un État en décomposition avancée. Tout est en place, semble-t-il, pour une mise en scène d'abandon parfaitement huilée, où chaque détail est pensé pour que l'horreur puisse suivre son cours, sans le moindre accroc.
Il faut croire que le CPT et le Gouvernement agissent en prestataire logistique au service de l'expansion territoriale des gangs. À peine six jours après l'assaut, c'est avec un flegme olympien, frôlant le mépris, que les autorités ont daigné constater la catastrophe ; tout en accordant, davantage d'importance à l'effondrement du toit d'un immeuble en République Dominicaine. Pas un mot pour les familles déracinées, pas un souffle pour les blessés, les violées, les disparus, pas l'ombre d'un plan pour les survivants. Rien! Juste le silence complice d'un pouvoir plus préoccupé par la négociation de son maintien que par la protection de la population. Pendant ce temps, plus de 31 000 personnes fuient, errent, s'entassent dans des écoles, des églises, des houmforts, des marchés, des ruines quand elles ne sont pas livrées aux viols collectifs, aux exécutions sommaires ou aux disparitions sans retour. Le tout, bien entendu, dans le plus grand respect de la souveraineté territoriale des gangs
Pendant que le pays s'enfonce dans l'horreur, les dignes membres du CPT trouvent encore le temps de se chamailler pour les meilleures chaises, les per diem en souffrance, les budgets les plus juteux et, bien sûr, les postes les plus stratégiques qui rapportent du fric. Quant au Gouvernement, il excelle dans sa discipline favorite ; enchaîner les déclarations creuses, distribuer quelques miettes humanitaires, pendant que le Premier ministre, en tournée dans un camp de déplacés, s'offre une séance photo avec un enfant soigneusement sélectionné pour l'occasion. Et tout cela, bien entendu, sans jamais faillir à son rôle de relais docile des consignes de ses parrains locaux et étrangers avec une obéissance de chien de Pavlov. Tenez, encore une nouvelle insolite ! Hier, le Chef Principal des Truands, Monsieur Fritz A. Jean, était en réunion, et pas avec n'importe qui. Bien sûr, il échangeait avec les achetés, les vendus, les éternels recyclés, les grands budgétivores du Conseil Électoral Provisoire (CEP), pour discuter sans rire d'élections. Oui, vous avez bien lu, des élections, en plein cœur du chaos. Sérieusement, la dynamique entre pouvoir, corruption et dépendance ne conduit-elle pas à la folie chez ceux que l'avidité d'argent consume?
Face à ce désastre soigneusement planifié, le temps des simples dénonciations est révolu ; elles ne sont plus, reconnaissons-le, qu'un vain exercice d'intellectualisme stérile. Il s'agit désormais de résister. De refuser l'humiliation, de se lever, de s'organiser sans attendre les bénédictions des puissances tutélaires ni les lubies du CPT. Là où les gangs n'ont pas encore planté leur drapeau, le peuple doit s'ériger en rempart. Là où le CPT et le Gouvernement ont abdiqué, les communautés doivent inventer une contre-offensive populaire en érigeant des brigades disciplinées, structurées, enracinées dans la dignité. Il faut verrouiller nos villes avec possibilité de ravitaillement, bloquer nos quartiers, barrer la route à cette peste armée qu'on appelle gangs-milices. Il faut les contenir, les détruire, et dans le même souffle, éliminer leurs commanditaires ; ceux-là mêmes qui préfèrent les tractations aux insurrections citoyennes.
Le Conseil de Protection des Truands (CPT) accompagné de son gouvernement fantoche, n'est plus qu'une double imposture politique, une farce tragique. Ils ne représentent rien d'autre que la continuité du désastre, la perpétuation méthodique du malheur haïtien. Il faut les balayer, sans détour ni complaisance, par une insurrection civique massive. Une mobilisation nationale, populaire, patriotique, éclairée. Une lame de fond à la fois politique et morale, pour imposer un projet de société digne de ce nom ; fait de justice, de souveraineté, de reconstruction. Maintenir ce théâtre de marionnettes, c'est signer le bail de la décadence et applaudir l'effondrement définitif de l'État haïtien. Il est temps de débrancher la machine à trahir.
Debout ! Organisons l'alternative
L'heure n'est plus aux illusions ni aux demi-mesures. Il faut choisir : la peur ou la dignité, la corruption endémique ou une gestion responsable, l'abandon honteux ou la résistance courageuse, la soumission servile ou la reconquête souveraine. Et qu'on ne s'y trompe pas ; l'alternative ne tombera pas du ciel, ni des incantations diplomatiques de Washington, ni des communiqués soporifiques de son ambassade, encore moins des recommandations stériles de l'ONU ou des bulletins de moralité du CORE Group. Elle ne surgira ni d'un président providentiel, ni d'un leader cloné en laboratoire de la coopération internationale. Non, elle viendra de nous, uniquement de nous.
Le combat qui s'engage est celui du peuple dans son entier, pas d'une élite recyclée ou d'un comité de gestion de crise. Il exige de l'organisation, une unité stratégique, et la constitution urgente d'un front patriotique de libération nationale. Pas dans un an, pas dans six mois, il faut agir maintenant . Car l'histoire, la nôtre, celle d'un peuple qui s'est arraché à l'esclavage à la force de sa volonté, nous rappelle qu'un peuple qui se lève, qui s'organise, qui revendique sa dignité, est tout simplement invincible.
Remplaçons les truands par l'intelligence collective
Puisque même les comédies les plus absurdes ont une fin, nous proposons, pour ce premier acte de salubrité publique, une formule visant à remplacer le fameux Conseil de Protection des Truands (CPT), une fois celui-ci renvoyé par la volonté populaire. Ce sera le point de départ d'une transition fondée sur la compétence et la légitimité citoyenne. Un collège composé de deux membres du Conseil de l'Université d'État d'Haïti (UEH) et de cinq personnalités mandatées respectivement par les regroupements des Universités Publiques en Région (UPR) et des Universités Privées du pays, auront la responsabilité de mettre en place, sans délai, un cadre de consultations nationales inclusives.
Et pas de palabres éternelles, ces consultations devront se dérouler dans un délai strict de quinze jours. Leur objectif ? Aboutir à la sélection rigoureuse de 20 personnalités de haute crédibilité : 10 femmes et 10 hommes, issues des 10 départements du pays et de la diaspora haïtienne.
Ce collectif sera chargé de:
1- Élaborer une feuille de route claire et ambitieuse, visant à restaurer l'ordre et la sécurité, amorcer une réforme institutionnelle en profondeur pour poser les bases du redressement national sur les plans économique, social, politique et organiser à moyen terme, des élections véritablement souveraines et démocratiques, affranchies de toute ingérence extérieure et du clientélisme politique qui gangrène les institutions.
2- Désigner un(e) président(e) de transition, sur la base d'un large consensus national, une figure intègre et indépendante des influences politiques, économiques et étrangères, incarnant l'intérêt supérieur de la nation avec obligation d'observer et de faire respecter la feuille de route par le gouvernement.
3- Former un gouvernement de salut public restreint sans Premier ministre, dirigé par le président de la République, composé de personnalités compétentes et intègres, indépendantes des influences politiques, économiques et étrangères, ayant l'obligation stricte d'observer la feuille de route.
4- Les 20 personnalités resteront en fonction jusqu'à l'installation de la prochaine législature, percevant des émoluments et tous les privilèges liés au statut d'un sénateur de la République. Elles siégeront en permanence, exerceront un contrôle rigoureux sur l'action gouvernementale et pourront en cas de crime, prévarication, corruption dûment constatés renvoyer le membre du gouvernement ou le président accusé et pouvoir à leur remplacement.
Comments