Restitution de la rançon de 1825 : un mouvement qui défie l'injustice historique.
- Renouvo Demokratik
- il y a 6 jours
- 5 min de lecture
Par: Novavox, Notre Éditorial.
Alain Zephyr, Sociologue

Deux siècles après l’imposition de la rançon de 1825, la revendication de justice pour Haïti s’est amplifiée comme jamais. De Paris à Haïti, en passant par New York, intellectuels, militants et citoyens engagés ont convergé autour d’une exigence commune : la restitution de cette dette imposée sous la menace, qui a freiné le développement du premier État noir libre.
Le bicentenaire de cette injustice historique a déclenché une mobilisation sans précédent, symbolisant un tournant décisif dans la quête de justice et de mémoire. En France, en Haïti et à New York, des initiatives d’envergure ont vu le jour pour sensibiliser le public à cette tragédie historique et intensifier les revendications en faveur de sa restitution.
En France, des débats académiques et des conférences ont été organisés, notamment par des historiens et des militants engagés dans la reconnaissance des responsabilités françaises. Des articles et tribunes ont été publiés pour rappeler l’impact de cette rançon sur le développement d’Haïti
En Haïti, des mobilisations populaires ont marqué l’événement, avec des marches et des rassemblements exigeant réparation. Des organisations de la société civile ont intensifié leurs actions pour interpeller les autorités françaises et internationales. Le collectif contre la rançon de 1825, à l’avant-garde de cette lutte historique, a organisé un atelier de réflexion au Centre Culturel Brésil à Pétion-Ville. Cet événement a rassemblé des intellectuels, des universitaires et des militants engagés, unis par leur détermination à faire progresser cette cause essentielle.

À New York, une conférence s’est tenue à la Faculté de droit de l’Université de New York, réunissant des membres de la diaspora haïtienne, des juristes et des activistes. L’objectif était de renforcer la pression internationale pour obtenir une reconnaissance officielle et des réparations .
À la quatrième session du Forum permanent des Nations Unies sur les personnes d'ascendance africaine (14-17 avril 2025, à New York), le Kolektif Afwo Desendan (KAAD), rassemblant des membres de la société civile haïtienne et de la diaspora, a renouvelé son appel pressant en faveur du soutien des Nations Unies pour garantir la restitution et les réparations. Ces groupes plaident pour la création d'une commission internationale, composée d'experts haïtiens et internationaux, afin d'examiner avec rigueur le droit d'Haïti à la restitution de la rançon de l'indépendance et à des réparations plus globales pour les torts historiques liés à l'esclavage.
NOVAVOX, animé par la branche new-yorkaise du Renouveau démocratique, a publié des éditoriaux et dédié une tribune à l'actualité de la rançon. Cette initiative aspire à éveiller les consciences et à rassembler les énergies en faveur de cette lutte cruciale pour la restitution.
Restitution : des initiatives encore timorées
Sous l’effet de cette mobilisation croissante , trois décisions clés ont été annoncées le 17 avril , inscrivant le bicentenaire de la rançon de 1825 dans une nouvelle dynamique.
Reconnaissance officielle de l’injustice historique. - Le président français Emmanuel Macron a publié une déclaration reconnaissant la profonde injustice de l’indemnité imposée à Haïti en 1825 et soulignant son impact durable sur le développement de la nation. Dans le cadre de cette reconnaissance, Emmanuel Macron a annoncé la création d’une commission mixte franco-haïtienne, composée d’historiens et d’experts des deux pays. Cette commission aura pour mission d’examiner les dimensions historiques, économiques et sociales de cette indemnité, ainsi que son impact sur les relations franco-haïtiennes au fil des siècles. Elle proposera des recommandations concrètes pour construire un avenir basé sur la justice, la mémoire et la solidarité.
Creation d'une commission haitienne de reparation . Le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) a officialisé, dans le journal Le Moniteur, la création du Comité National Haïtien de Restitution et de Réparation. Rattachée au rectorat de l’Université d’État d’Haïti, cette commission sera composée de vingt-et-un membres, incluant quatre représentants étatiques, cinq représentants de la société civile haïtienne et douze personnalités issues du monde académique et scientifique, tant en Haïti qu’à l’étranger. Cette commission aura pour mission de fournir à l’État les arguments économiques, financiers, juridiques et éthiques nécessaires pour soutenir les revendications de réparations liées à l’esclavage, à la colonisation, ainsi qu’à la restitution des rançons versées par Haïti aux puissances dominatrices.
Nomination au sein de la commission mixte franco-haïtienne . Enfin, Le gouvernement haïtien a nommé Madame Gusti Klara Gaillard Pourchet comme membre de la commission mixte franco-haïtienne sur la dette.
La restitution en suspens
Ces annonces constituent une avancée dans le débat, mais la question de la restitution reste non résolue. La déclaration de l'Élysée n'aborde pas explicitement la restitution directe de la rançon, et la France semble éviter de traiter cette problématique de manière frontale. La commission annoncée apparaît davantage comme une mesure dilatoire, visant à apaiser les tensions. Pourtant, les Haïtiens continuent de réclamer une réparation financière, une revendication qu'il est essentiel de ne pas écarter, comme le souligne Jacques Nési, politologue à l'Université des Antilles.
Par ailleurs, La nomination de Madame Gusti Klara Gaillard Pourchet à la commission mixte franco-haïtienne par le Conseil Présidentiel de Transition (CPT), dont la légitimité et la constitutionnalité sont contestées, soulève des interrogations majeures.
Madame Gaillard Pourchet, historienne renommée, est effectivement une figure clé dans les recherches sur les réparations. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages approfondis sur le sujet, notamment Le Rapport Mackau (1825), lequel analyse les implications historiques et économiques liées à la dette de l'indépendance haïtienne. Son travail met en lumière les injustices subies par Haïti et propose des arguments solides en faveur des réparations. Cependant, le Conseil Présidentiel de Transition (CPT) s'inscrit dans une tradition populiste du pouvoir en Haïti, utilisant la question des réparations comme un levier stratégique pour détourner l'attention des crises internes qu'il contribue à alimenter. Malgré son association avec le CPT, Madame Gusti Klara Gaillard Pourchet pourrait-elle parvenir à établir des ponts avec les mouvements contestataires, reconnus comme des acteurs clés de cette lutte ?
En outre, les Haïtiens, profondément marqués par la dilapidation des fonds PetroCaribe et les scandales financiers du CPT, lient la question des réparations à l’espoir d’un renouveau démocratique, porteur d’une gouvernance solide et transparente en Haïti. Trouveront-ils en Madame Gaillard et la commission haïtienne des alliés fiables ou des obstacles à leurs revendications légitimes de justice et de réparation ?
Enfin, depuis peu, on observe une pacification de l'université publique haïtienne, destinée à la priver de son rôle historique de contestation et de production critique de la société. Cette évolution s'inscrit dans une logique décrite par Pierre Bourdieu, qui analysait comment les institutions éducatives peuvent être utilisées pour préserver les structures de pouvoir existantes, en réduisant leur potentiel à produire des idées novatrices ou à remettre en cause l'ordre établi. La commission haïtienne de réparation, rattachée au Rectorat de l'Université, pourra-t-elle collaborer avec les nombreux Keb Bastien, exclus de l'UEH mais cruciaux dans la lutte pour la rançon ?
Unité et Lutte : Le chemin vers la restitution
Ces questions, parmi tant d'autres, incarnent les enjeux cruciaux de la bataille pour la restitution, au lendemain de la commémoration du bicentenaire de cette injustice historique. Les mouvements sociaux haïtiens, les intellectuels et les militants engagés dans cette cause doivent renforcer leur unité, établir des passerelles entre eux et collaborer avec les organisations et chercheurs internationaux pour promouvoir des mesures concrètes de réparation. Nous le devons à nous-mêmes, à notre dignité collective, et à l'ingéniosité visionnaire de nos pères fondateurs. ¡Sí se puede! »
Comments